Le Christ et le rôti.
Quand j’était minot, j’allais à la messe tous les dimanches. Dans l’église mal chauffée et humide, y’avait tout un tas de vieux qui chantaient des cantiques. C’était très chiant. Et long. Une dame d’un âge indéfinissable accompagnait (mal) tous les chants à l’orgue électrique. Puis, enfin, le curé s’approchait lentement du micro, tapotait dessus pour s’assurer qu’il fonctionne, ce qui, à chaque fois, provoquait un horrible grésillement des enceintes, et il commençait son numéro. Il répétait sa messe par cœur, toujours de la même façon, avec sa voix chevrotante, tout vieux qu’il était lui aussi.
Moi, j’étais enfant de cœur. Je lui filais un coup de main pour préparer le pinard et les hosties. Ma mère était drôlement contente. J’ai jamais su pourquoi, vu qu’elle venait jamais à la messe. Personnellement, au début, je m’en foutais un peu, d’être enfant de coeur. Avec le recul, je me dis que j’ai eu de la chance de tomber sur un prêtre qui savait garder ses mains dans ses poches et pas dans les miennes. A l’époque, je considérais que la messe était une activité comme une autre. Un peu comme le foot, ou le judo. Mais j’ai très vite trouvé ça ennuyeux. Il ne se passait jamais rien d’extraordinaire. Tout était convenu. Pas un dérapage, pas d’esclandres, encore moins de bagarres. Les gens se levaient quand on leur disait de se lever, ils s’asseyaient quand on leur disait de s’asseoir. C’est tout.
Au bout d’un moment, un grand-père tout ridé, toujours le même, immanquablement, se portait volontaire pour la lecture de la prière universelle. Grand moment. Les paroissiens l’écoutaient sagement, debout, la tête légèrement penchée en avant pour se donner un air grave, car, quand même, la prière universelle, c’était pas un moment où on pouvait déconner. On évoquait la misère, la faim dans le monde, les malades qui se mouraient lentement dans les hôpitaux, les enfants, victimes malheureuses d’ horribles guerres ; on invitait à la générosité envers son prochain, à écouter les autres. Les gens approuvaient de la tête d’un air triste. Puis le curé reprenait la parole une dernière fois, et terminait la cérémonie avec toujours les mêmes mots, encore une fois. Pour l’avoir tellement entendue, je me souviens précisément de cette petite phrase qui bouclait la prière universelle :
-« Entendons l’appel du seigneur, mes frères, et entrons dans son Alliance. Ignorons les ombres, les épreuves, les chutes, et restons confiants dans l’amour de Dieu notre père. Allez, mes frères, dans la paix du Christ. »
A la fin de cette chouette prière, il restait normalement une chanson, toujours la même. Un peu comme dans un bar qui diffuserait toujours la même musique avant la fermeture. Mais le plus souvent, l’assemblée commençait à se disperser dès que le vieux regagnait sa place. Il était près de midi, et les paroissiens, de nouveau tout joyeux, étaient pressés de rentrer chez eux ( dans la paix du Christ ) s’occuper du rôti dominical et des haricots verts. C’est vrai que ces histoires de faim dans le monde, ça ouvrait l’appétit.
Quand j’était minot, j’ai appris que la compassion, chez les catholiques, c’était le dimanche, de onze heures à midi moins cinq.
Greenspirit.