vendredi, décembre 08, 2006

Le juge, la machette et la rose.



Tandis que Vladimir Poutine règle tranquillement les derniers détails de l’extermination du peuple tchétchène sans que Jean-Pierre Pernaut ne soit le moins du monde perturbé dans son recensement consciencieux des derniers couteliers bourguignons, un juge français dont le principal défaut est quand même d’être juge français a décidé de braquer sur l’Afrique les projecteurs de la Loi Internationale pour faire toute la lumière sur un autre génocide, accompli celui-là : Celui qui a envoyé dans des fosses communes près d’un million de Tutsis en 94.


Aussi à l’aise dans sa robe noire qu’un gamin dans une panoplie de Batman, le juge Bruguière se sent en effet l’âme d’un justicier universel qui serait investi d’une mission : débarrasser le monde des immondes putchistes qui ne respectent pas les protocoles électoraux de base et qui accessoirement anéantissent les populations. Il s’en va donc chercher des poux au président rwandais Kagamé, dont les services secrets ne risquent pas de lui servir un repas assaisonné au polonium 210 ni de lui loger quelques grammes de plomb dans la tête, pour la simple raison qu’ils sont inexistants. Le leader africain se voit ainsi reprocher d’avoir organisé l’attentat aérien qui à coûté la vie, en 94, à l’ancien président Habyarimana, et d’avoir fomenté le massacre qui en a découlé, tout ça dans le but d’obtenir une villa climatisée avec jardin paysager au centre de Kigali dans laquelle prendre tranquillement ses petits déjeuners.


En gros, à en croire le magistrat, le pogrom anti-Tutsi de 94 ne serait en fait que le résultat de la rencontre improbable entre un avion officiel du pouvoir rwandais et deux missiles non officiels livrés par l’ex-URSS aux rebelles du Front Patriotique Rwandais et tirés sur ordre de Kagamé. Après des années d’enquête, le petit juge serait enfin en mesure de présenter au monde LE responsable des grandes purges équatoriales de 94, d’offrir en pâture aux loups occidentaux le fautif tant attendu permettant d’évacuer tout sentiment de culpabilité.


Et pourtant, elle est bien engagée, la responsabilité française, dans ce qui s’est passé au pays des mille collines dans le milieu des années quatre-vingts dix. Petit retour en arrière à caractère démonstratif :


1885 : Conférence de Berlin : Les nations impérialistes se partagent l’Afrique et l’Allemagne pioche le Rwanda, un minuscule pays d’Afrique centrale où personne n’a jamais mis les bottes. Elle n’y accorde aucun intérêt et, après une guerre mondiale et deux papes, elle le cède à la Belgique sans que personne n’y trouve à redire. Or, si il y a quelque chose dont la Belgique n’a rien à cirer, c’est bien le Rwanda. Même pas sûre de savoir où ça se situe. Il faut dire que cette tête d’épingle sur la carte de l’Afrique ne fait aucun effort pour plaire aux peuples colonisateurs : On y trouve pas d’or, pas de pétrole, pas de diamants. En plus, c’est à plus de mille cinq cent kilomètres des côtes et il n’y a même pas d’autoroute avec aire de repos et bornes d’appel d’urgence. Pas vraiment Byzance, quoi. En conséquence, la Belgique se contente d’exercer une tutelle sans chercher à mettre en place de véritables institutions ni de politique de développement. Elle conserve l’ordre établi depuis plusieurs siècles, qui régit la société des Banyaruandas, à savoir le suivant : Le Rwanda est divisé en deux principales grandes castes : Les Tutsis (environ 15 %), propriétaires de bétail, régnant en seigneurs sur les Hutus (environ 85 %). Ces derniers sont dans leur grande majorité agriculteurs et, selon une tradition séculaire, les vassaux des Tutsis.


Mais quand le vent de l’indépendance se lève sur l’Afrique, à la fin des années cinquante, la Belgique se montre légèrement désemparée devant les revendications autonomistes du pouvoir tutsi. Pas vraiment l’habitude de ce genre de connerie. Jusqu’alors, elle avait gouverné le Rwanda en manipulant les Tutsis. Mais le mouvement d’émancipation qui se met en branle dans l’ensemble des colonies change la donne. Parce qu’il faut bien trouver une solution pour ne pas passer pour un pleutre aux yeux de la communauté internationale, elle décide de soutenir les Hutus et va même jusqu’à les encourager dans leur révolte contre les Tutsis. Les Hutus ont en effet déclenché une insurrection paysanne qui, pour les Belges, tombe à pic. La Belgique a vaguement dans l’idée d’endiguer les prétentions indépendantistes tutsiennes en exploitant la colère des Hutus, mais n’a pas vraiment conscience de ce que ça va provoquer sur le terrain. Or la bienséance et la modération ne sont pas les principales caractéristiques d’une insurrection paysanne. Dans tous les villages, les machettes s’affolent, les serfouettes s’abattent et le sang se répand. C’est un horrible massacre, si bien sûr l’on part du principe que la disjonction d’un visage et d’un corps d’enfant à la hache est une chose horrible. On est en 1959. Le pays s’embrase, se consume, s’autoconbustionne. Et lorsque le Rwanda accède à l’indépendance en 1962, les Hutus sont devenus maîtres du pays. Les rares Tutsis qui ont réussi l’exploit d’éviter d’avoir la gorge tranchée ou le crâne fendu sont chassés dans les collines, aux frontières du Burundi. Dans la décennie qui va suivre, le peuple Tutsi va bien tenter de renverser la situation, mais les Hutus vont leur tailler les oreilles en pointe, et ce n’est pas une image. Il est vrai qu’un rebelle est beaucoup moins dangereux une fois déchiqueté. Les survivants digèrent donc leur amertume en attendant des temps meilleurs pour assouvir leur vengeance. Il règne à cette époque au Rwanda un climat du peur, de suspicion et de tension extrême. Des Hutus au pouvoir entourés de Tutsis déchus, humiliés, et très, très, très en colère.


C’est dans ce contexte que le général Habyarimana organise un coup d’état, en 1973. Habyarimana représente l’aile la plus radicale des Hutus. C’est un chef d’état progressiste, et ce qui est très en vogue, en ces temps d’émancipation, c’est l’installation d’une dictature. L’autocratie, c’est chic, c’est smart. Soucieux de ne pas priver son peuple des dernières innovations en matière de gouvernance, Habyarimana s’applique alors à mettre en place une dictature de fer. Son clan s’approprie le pays. Il va le garder une bonne vingtaine d’années. Comme avec tout despote digne de ce nom, tout opposant au régime, même Hutu, voit son espérance de vie considérablement raccourcie.


Pendant ce temps, les réfugiés Tutsis, installés dans des camps au Zaïre, au Burundi, en Tanzanie et en Ouganda, préparent leur retour. C’est pour eux une obsession : récupérer leurs vaches et faire la nique aux Hutus en leur chatouillant la carotide avec une lame d’acier. Sous la houlette d’un général révolutionnaire ougandais, Museveli, les Tutsis reçoivent une formation militaire et créent le Front Patriotique Rwandais. Au bout d’une vingtaine d’années, ils auront accouché d’une génération de jeunes guerriers prêts à en découdre pour récupérer la terre de leurs ancêtres, principe sacré en Afrique.


Le 30 septembre 1990, il pleut dans la région des grands lacs. Les troupes du FPR se disent que c’est un bon jour pour prendre le pouvoir. Elles pénètrent donc au Rwanda et, sans rencontrer la moindre résistance, avancent tranquillement vers Kigali. Habyarimana transpire, et pas seulement parce qu’il fait chaud. Il flotte dans l’air comme une odeur de putch imminent. Habyarimana, d’une main fébrile, introduit deux ou trois pièces dans le monnayeur de la première cabine téléphonique venue et compose le numéro d’un de ses potes, un certain…François Mitterrand. Il lui explique la situation. Mitterrand est toujours prompt à aider une dictature africaine à se maintenir en place. Le président français envoie donc des troupes faire front au Front, et Habyarimana s’éponge le front : Les Tutsis sont stoppés à quelques kilomètres de Kigali. Peut-être que si les Tutsis avaient réussi leur coup ce jour là, les massacres de 94 auraient été évités. Peut-être.


Au sud, le pouvoir rwandais a eu chaud. Au nord, les rebelles tutsis sont frustrés. Situation explosive. Un peu comme si on décidait d’allumer un feu de camp au beau milieu d’une fabrique de poudre. Des intellectuels proches du pouvoir mettent alors au point une théorie qui n’est pas sans rappeler celle qu’avaient élaboré les têtes pensantes tombées à Nuremberg. Le genre de théorie qui aujourd’hui circule en Russie comme un fanzine à la mode qui serait de moins en moins underground. La théorie de la solution finale. Tacaboum.


Pour désamorcer une situation critique et assurer sa survie, la dictature doit écraser l’ennemie, qu’il soit Tutsi ou Hutu modéré. Alors c’est les préparatifs. Radio Mille Collines joue les chauffeurs de salle en diffusant constamment des messages de haine, et la France assure l’ intendance. Elle fournit les instructeurs, des armes et du matériel. Il est vrai que Mitterrand, à cette époque, n’agit plus que sur les conseils d’ une sombre cartomancienne au passé trouble. En quelques mois, l’armée officielle rwandaise gonfle comme la cuisse de Zidane après son arrivée à la Juventus. Elle passe de 5000 à 35000 soldats.


Le 06 avril 94, Mitterrand a rendez vous avec son urologue, qui compte aborder avec lui le délicat problème des couches confort. Habyarimana quant à lui, prend l’avion. Connerie. Le Falcon explose, n’ayant pas supporté d’être pulvérisé par un missile SAM16. En hommage au chef d’état, trois mois de massacre national sont décrétés. Tout opposant au régime est transformé en pièce de boucherie. Des Rwandais tuent des Rwandais. Entre 800 000 et un million de Tutsis et Hutus modérés meurent avant que Mitterrand lui-même ne soit définitivement trahi par sa prostate. Les tueries sauvages s’arrêtent en juillet, lorsque les troupes du FPR maîtrisent le pays. Mitterrand, entre deux séances de radiothérapie, s’en fout.


Aujourd’hui, super-juge veut envoyer devant les tribunaux le commanditaire présumé de l’attentat habyarimaticide. Le rôle joué à l’époque par la France semble peut l’inquiéter. Le fait que la France ait toujours porté à bout de bras les despotes africains ne semble de toute façon inquiéter personne. Par contre, il y aura toujours des tordus pour aller déposer une rose en haut de la roche de Solutré.


Greenspirit.
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