dimanche, octobre 22, 2006

fausses paillettes et vrais chaussons


Il est probable que tout le monde s’en fout, mais si l’on en croit l’image fallacieuse que nous vend constamment la publicité, être vieux en France, c’est la panacée.

En effet, la retraite, comme elle est présentée par la lucarne libérale, passe pour être LA réponse aux interrogations ouvrières récurrentes, alors qu’il s’agit en fait d’une grosse carotte dorée agitée au nez des travailleurs qui se lèvent tôt et qui se demandent pourquoi. Elle est comme une corne d’abondance scintillante posée bien en vue au sommet des reliefs sinistres et escarpés du Travail, une lumière au bout de ce long passage balayé par les vents hurlants de l’exploitation capitaliste et noyé dans les épais brouillards du marasme ambiant, mais qui doit absolument être emprunté par tout homme civilisé prétendant accéder au bonheur. Si la vie active est un océan d’emmerdes, la retraite est le phare qui, au loin, annonce des rivages orgiaques aux marins pouilleux ravagés par le scorbut. La récompense ultime de toute une vie de durs labeurs, de sacrifices matériels et de cassoulets en boîte.

On nous décrit ainsi un monde idyllique où les dignes retraités, après des années d’efforts, fêteraient leur départ en recevant de la part de leurs collègues émus aux larmes et farcis au champagne et aux petits fours du matériel de pêche tout neuf, les gratifieraient d’éblouissants sourires travaillés au Polident façon Actor’s Studio, puis courraient sur le champ s’acheter de gros camping-cars tout confort avec réception satellite afin de partir sans délai pratiquer le ski nautique sur la mer noire ou s’adonner à la course d’orientation au cœur des forêts hongroises dans un périple routier de six mois. Il paraîtrait qu’il n’y a plus d’âge pour ce genre de connerie, et que de toute façon, un retraité, ça a toujours la forme, à condition bien sûr de manger des yaourts Actimel et de boire de l’eau d’Evian.

Une fois retirés de la vie active, miraculeusement épargnés par l’inéluctable décadence biologique grâce à l’incroyable efficacité des crèmes anti-âge Garnier et des cures de thalasso, bien à l’abri derrière leurs conventions obsèques Norwich Union et leurs plans d’épargne fructueux, ces frais pensionnés auraient semble t-il tout loisir de délaisser pigeons et bancs publics pour aller passer l’hiver dans un club de vacance au Maroc ou au Sénégal, où le climat plus doux permettrait de s’essayer sans crainte à la plongée en apnée et de bourlinguer joyeusement entre les dunes de sable sahariennes sur des quads deux-temps.

En bref, tirer sa révérence équivaudrait à effectuer un dernier tour de piste sous les applaudissements, une profusion de bonheur qui trouverait sa source auprès des bonnes tables et les musées d’art contemporain, des voyages organisés dans le monde entier et des cures de jouvence avec cours de nage synchronisée, séances de phytothérapie et massages aux algues marines. On finirait sa vie gavé de DHEA, en sécurité dans ses couches Libra, entouré de petits enfants rieurs que l’on autoriserait à lécher la casserole, à profiter de son compte en banque et de son patrimoine dans une grande maison placée sous surveillance vidéo chauffée par Ecotherm et équipée en fauteuils Derby.

Mais, malheureusement, la réalité est tout autre. La publicité change peut-être la pisse en nectar, pour mieux vendre ses bagnoles et ses prothèses auditives, mais il n’en reste pas moins que l’état gériatrique de la France est loin, très loin, de ce portrait imaginé par les créatifs. Car au lieu de faire tranquillement du pédalo sur les ondes calmes du bonheur mérité, les retraités ont plutôt tendance à se noyer dans les eaux boueuses de la solitude et de la précarité.


Ainsi, le quotidien d’un retraité, ou plutôt de huit retraités sur dix, à pour cadre non pas les rives du Nil ou les salles de sport, mais les petits appartements deux pièces en banlieue urbaine et les cabinets de médecins bondés et surchauffés. Ils ne fréquentent pas les restaurants mais se nourrissent de nouilles au beurre et de conserves de thon à l’huile. Ils s’accrochent comme ils peuvent à leurs 564,25 euros d’allocations retraite en priant pour que la prochaine liste de médicaments déremboursés ne concerne pas leurs pilules pour la polyarthrite et la lombalgie. Ils jouent au tiercé toutes les semaines et cotisent à une complémentaire santé qui, généreusement, leur envoie chaque année un joli calendrier illustré de chevaux sauvages. Ces abonnés à la carte vermeil errent en pantoufles, les jambes lourdes à cause du chauffage au sol, entre la cuisine et le salon. Signe dépressif majeur, ils regardent France 3 à longueur de temps. En fin de journée, dès dix-neuf heures, ils avalent un bouillon et vont se coucher. Peu à peu, hormis le concierge, plus personne ne sait qu’ils existent. D’ailleurs ils n’existent plus, ils flottent mollement au dessus de l’existence. Il règne chez eux une forte odeur de croquettes pour chat, mêlée à celle plus aigre encore du pourrissement social. Le fruit trop mûr finit d’ailleurs par tomber de l’arbre et se désagrège dans l’indifférence totale. Le vieillard ne fera bientôt plus parler de lui, trop occupé à mourir, oublié même de ses enfants, dans la grisaille d’un hospice pisseux, seul au fond de son lit même pas bordé. Il rendra son dernier souffle sous la lumière terne d’un néon mural, et la radio à pile posée à côté de lui, branchée sur France Bleue, continuera de gueuler, avec un désintérêt avoué pour cette charogne encore chaude.

Greenspirit.

jeudi, octobre 12, 2006

faut-il introduire l'oreillette en politique ?


Ah, les animateurs télé ! Quelle institution ! Cinquante ans de rapports étroits et paternels avec le peuple, au point qu'aujourd'hui, ils seraient prêts à disputer le pouvoir aux professionels de la politique. Petite anthologie pas vraiment exhaustive de ces vedettes cathodiques aux ambitions multiples :

Au début, y'avait Michel Drucker. Années soixante. Commentait les buts de Raymond Koppa pour l' ORTF. Y'avait environ deux mille foyers en France suffisamment équipés pour distinguer la couleur de sa cravate, mais c'était déjà l'ami de toutes les familles. Il avait de l'allure, disaient les ménagères, même en noir et blanc. Il vénérait Alain Perrefitte et ne tutoyait pas de Gaulle, mais gardait une liberté de ton totale... en matière de football.

Viennent ensuite les années soixante-dix. Les femmes sont libérées. Même Simone Garnier, à qui on donne un micro aussi gros qu'une barbapapa pour interviewer Claude François. Première femme après Bardot à entrer dans l'imaginaire sexuel de millions de prolos, elle introduit la mixité à la télé en partageant l'antenne unique avec Michel Drucker, pionnier de la cravate verte.

Plus tard, y'a eu Mourousi, dans les années quatre-vingt. Un mec qu'en avait, Mourousi. Un peu le Belmondo du vingt heures. Un journaliste rebelle, un héros de l'information, un révolutionnaire de plateau, dont le plus grand acte de dissidence fut de présenter le journal avec un blouson de cuir et une voix de clochard. Puis y'avait Michel Drucker, en cravate bleue, qui recevait des invités ivres morts peu amènes avec les billets de banque et dont la caractéristique principale était qu'ils tenaient absolument à enculer Witney Houston. Ces soirs là, la France se divisait. D'un côté ceux que ça faisait marrer, de l'autre ceux qui détestaient aux armes et caetera.

Ensuite, dans les années quatre-vingt-dix, est arrivé Thierry Beccaro, très naturel, mais naturellement con. Un type dont l'évolution de carrière tient uniquement dans le fait qu'à Motus, on soit passé de mots de cinq lettres à des mots de sept lettres. Promotion professionnelle exemplaire ! Animateur qui se veut drôle aujourd'hui encore, mais de mémoire, jamais aucun candidat n'a ri, ni même souri, à aucune de ses blagues. Assurement le meilleur candidat au ministère de la bouffonnerie. Et y'avait, bien-sûr, Michel Drucker. Cravate rouge. Star 90. En raison d'une mort constante et définitive, Gainsbourg n'était plus invité. Il fut remplacé par Jack Lang, moins bourré mais également moins drôle.

Enfin, aujourd'hui, y'a Serge Moatï. Un mec avec une tronche à la Jean Yann et un corps à la Carlos, payé pour recevoir des penseurs et des écrivains tout en affichant envers eux un détachement clairement explicite : Il n'en a rien à foutre de rien, ni de leurs pensées ni de leurs bouquins. Capable de discuter avec n'importe quel expert, n'importe quel professeur, chercheur, ministre ou poète, sans montrer le moindre intérêt humain. Rien à foutre. Autant de désinvolture dans ses interviews que de sauce pimentée dans un chawarma pita. Peut-être l'animateur le plus avachi de l'histoire de la télé. Trop fainéant pour avoir des ambitions politiques.
Y'a aussi Nicolas Hulot. Globe-trotteur officiel du paf, aussi à l'aise avec un chef Papoue qu'avec un paysan Mongol, il a la curieuse manie de refuser de présenter ses émissions s'il n'est pas suspendu au bout d'une corde à plus de quatre mille mètres d'altitude. Très attaché au respect de l'environnement, au point d'évoquer sa candidature aux présidentielles. Grimpe cependant plus facilement dans les séquoias amazoniens que dans les sondages. Ne s'est toujours pas décidé à se séparer de son 4x4, mais promet, s'il est élu, de généraliser l'usage du deltaplane pour les voyages officiels. Prétend se mettre à la barre du bateau France alors qu'il n'a jamais piloté autre chose qu'un zodiac. Peu de chances d'être porté au pouvoir.
Puis, évidemment, y'a Michel Drucker, cravate grise. Il coanime désormais ses émissions avec Bernadette Chirac au moins une fois par mois. Tutoie Nicolas Sarkozy et Johnny Halliday. Peut-être, en fin de compte, le meilleur candidat à la présidentielle. A condition de renoncer à ses scandaleuses cravates.

Greenspirit.
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