mercredi, juillet 04, 2007

Interpellation.




J'ai testé récemment la course-poursuite avec les flics. Echec cuisant. Rattrapé au bout de trente mètres.

Ca s'est passé mardi aprés-midi. Je venais de récupérer Marine, a la sortie de l'école maternelle. Elle sort de classe, les genoux pleins de pelouse, comme d'hab, et me tend tout un tas de dessins et de découpages abracadabrantesques devant lesquels il faut que je m'extasie. ( Il faudra cependant bien qu'un jour, si on veut que l'art se renouvelle, qu'on arrete de faire croire aux gosses que ce sont des génies de la peinture et qu'on leur explique que leurs dessins sont à chier. Passons.) Elle monte dans la voiture, je jette son oeuvre sur le siège arrière et j'attache sa ceinture. Je lui explique qu'on a prévu d'aller essayer son cerf-volant au bord de la mer. Démarrage, manoeuvre, puis on sort du parking et on s'engage sur la départementale. Pas plus de huit cent mètres à faire, on passe à la maison récupérer la maman, et hop, on se taille. Sauf que là, dans un virage, avec un peu d'arbres, des chasse-coquins. Ah les scélérats !

Y'a pas a dire, le cerveau est formaté pour réagir à un certain type de bleu. Des connexions se font instantanément : Marine est attachée, mais pas moi. Putain, pas de ceinture. Grrr !Trop tard pour la mettre. Ca va attirer leur attention. Bon, faisons semblant de rien, allons-y franco. Coeur qui palpite. Putain j'aime pas ça bordel. J'arrive à leur niveau. Surtout, ne pas les regarder. Le regard fixe. Oui, c'est ça. Fixer un point. Sur la route, c'est mieux. Déglutition. Faut que ça passe.

Je les guette du coin de l'oeil. Ils me font signe. MERDE. Quoi faire bon Dieu ? Pas vraiment le temps d'analyser le problème raisonnablement. Tentons-la j'ai rien entendu rien vu. Je suis Ray Charles en moins mort au volant d'une Xantia 1L9 d. Je continue d'avancer, tranquillement, sans accélérer. Je me contente de suivre la circulation. Je chantonne timidement du blues, mais je suis assez minable dans le rôle de l'aveugle noir. Et les flics, c'est pas vraiment des sentimentaux. Ils s'affolent. Putain de MERDE. Coup de sifflet on ne peut plus audible. Au passage, si y'a bien un truc qui n'a pas changé chez les guignols depuis le second Empire, c'est bien le coup de sifflet. Sacrés musiciens quand même. Une seule note, mais alors caractéristique. Ô combien chargée de sens. Une note qui raconte toute une histoire, du genre toi-on-t'-a-vu-et-tu-va-en-chier-si-on-te-chope. Moi ça m' émeut, c'est sûr. J'ai le coeur qui cogne dans la gorge. Mais c'est trop tard pour reculer. Yeepe, c'est parti, banzaï!



Je les perd de vue après le virage. J'ose pas y croire. Coup d'oeil dans le rétro. Personne. Putain il fait chaud dans cette bagnole. Non, c'est pas possible. C'est pas possible que je vienne d'embrouiller la flicaille ! Et ben non, c'est pas possible. Au bout de trente mètres à peine, je suis bloqué à un feu rouge. Sortie des classes, école primaire. Y'a un seul feu à Andilly, faut que je me le tape à ce moment là. Je pense une seconde emprunter le trottoir mais je me dit que les gendarmes ont une fâcheuse tendance à considérer que rouler sur des gosses de huit ans avec un véhicule diesel d' une tonne 300 constitue une circonstance aggravante. Ma cavale s'annonce mal partie.

Pour vous qui vous réjouissez à l'idée de passer inaperçus, le fait d'être rejoint par une voiture à gyrophare armée d'une corne de brume du tonnerre et dont le chauffeur s'amuse à pousser les rapports devant une école publique à l'heure de la sortie des classes ne sera pas votre truc. Personnellement, j'aime pas trop me faire remarquer ( bien que par le passé..., enfin bon ). Mais dans ces circonstances, c'est quand même pas facile de rester naturel. Les flics sont derrière moi. Ils font ronfler le moteur et jouent avec la sirène. Ben voyons. Comme si on attirait pas déjà assez l'attention. Tout le monde se retourne. je reconnais au passage un des parents que je salue de la tête tout en tapotant avec mes doigts sur mon volant, l'air de rien. ( Ou plutôt l'air d'un mec crispé qui aurait de la fièvre.) Le feu passe au vert. Je ne voudrais surtout pas gêner en quoi que ce soit la circulation. Faut que je me tire d'ici. J'avance doucement. C'est le genre de truc qui semble agacer la flicaille. Ils me doublent (au risque de se fracasser sur un véhicule qui arriverait en face) et se rabattent devant moi pour me bloquer le passage. Top chrono. Du grand art. N'ai plus qu'à me garer sur le côté. En tout et pour tout, la poursuite aura duré moins d'une minute. FOXnews n' a même pas daigné envoyer un hélico. Moi j'ai l'air con, eux vraiment pas contents.

Cette fois les agents prennent la peine de descendre, avec l'air de prendre très au sérieux leur boulot. Ils sont du genre volumineux à raybans. Ils arrivent vers moi presque en courant. Z'ont peut-être peur que je me tire en prenant ma fille en otage. L'un d'eux entame le traditionnel tour de bagnole suspicieux. On dirait un badaud excité aux journées Occasions du Lion. Son collègue se penche vers moi en prenant des allures de cowboy. Je juge bon d'ouvrir ma fenêtre. J'ai l'impression d'être déjà au parloir. Il m'aboie un "bonjour m'sieur" protocolaire. Une manière comme une autre d' engager la conversation.

-Monsieur, vous savez pourquoi on vous arrête ?

- M'en doute. Pas ma ceinture.

- Papiers du véhicule, s'il vous plait.

S'il vous plait ! Comme si j'avais le choix ! Le cowboy n'a pas envie de plaisanter. Il est sur les nerfs. Je le sens prêt à dégainer son carnet de contravention au moindre de mes gestes. Dire que dans l'intimité, sa femme l'appelle peut-être mon gros chaton en lui touchant les couilles. Je tend la carte grise, seul document à peu près interressant dans cette situation à se trouver présent dans cette voiture. Puis je gagne du temps (pourquoi faire ?) et fait semblant de chercher mon permis, alors que je sais pertinemment que je l'ai perdu il y a plus de trois ans. Je regarde dans les portières, puis vérifie un à un les pares-soleils. Toujours rien. Le savais déjà. J'attaque la boîte à gant. Rien qu'avec elle, je peux gagner au moins dix minutes. Retarder l'échéance de la sentence, c'est ça qui compte. Mais c'est s'accrocher à une corde graisseuse. Dérisoire. De toute façon, ça va tomber. Dans le tas de papiers que j'extrais de cette poubelle qu'est devenue la boite à gant, je trouve des papiers d'assurance chiffonnés. Aucune idée de quand ils peuvent dater. Je les tend a un des deux flics. N'a qu'à s'en démerder. J'ai pas demandé à me faire alpaguer, moi. Je continue à simuler un instant des recherches puis, las de tout ce cirque, je finis par baragouiner :

- J'mumhhh..perd...permis

- Pardon monsieur ?

- Hum. J'ai pas mon permis.

Il me rend les papiers d'assurance d'un geste agacé.

- Votre assurance est périmée. (ça je ne le savais pas ! ) Dites, ça fait pas un peu beaucoup, tout ça, monsieur ?


- Je ne roulais pas vite, lui fais-je remarquer.

Il ne semble pas faire cas de mon argument. On se demande à quoi ça sert de respecter le code de la route. Je songe alors à lui demander de me faire souffler dans un ballon pour lui prouver que je n'ai pas bu, puis je renonce. Pourquoi pas ouvrir le coffre pour leur démontrer que je ne me ballade pas avec un cadavre, tant que j'y suis. Après tout, on ne peut pas espérer du mérite pour quelque-chose qu'on a pas fait.

Le flic-badaud rejoint alors son collègue. Il lui jette un regard genre alors, quoi de neuf ? ( comme si en trois minutes celui-ci avait pu obtenir des informations essentielles sur cette affaire de la plus haute importance.) Et bien non, il est bredouille, ce con. Rien a se mettre sous la dent. Aucun indice lui permettant d'affirmer que je suis en règle. Ni assurance valable, ni permis. Bien fait !

Précisons que pendant ce temps on assiste à une drôle de procession de voitures conduites par des parents ne ratant pas une miette du spectacle et dont certains j'en suis sûr expliquent à leurs enfants en me montrant du doigt combien il est important de mettre sa ceinture. Je finis l'aprés-midi en interpelé pédagogique, exposé en centre-bourg comme un goret de foire. Manque plus qu'une pancarte " Cet homme ne respecte pas code de la route! Honte à lui ! " C'est la première sanction, payable sur le champ, lorsque les flics vous chopent : l'humiliation publique. Dans ce cas, il vaut mieux habiter une grande ville. Plus facile de se faire oublier. Dans une grande ville, tout le monde se fout de ce qui peut vous arriver. A la campagne, ça anime les conversations ( ou plutôt les non-conversations) pendant au moins une semaine !

John Wayne dégaine. Pas un seul abrevoir derrière lequel me planquer. Tout seul en bottes à franges au milieu de la rue principale. Je suis foutu. Il tire. Le salaud. Je suis touché en pleine bourse. 90 euros. Mon compte bancaire agonise. Marine pleure. Bourreau d'enfant ! Aucun coeur! Il dit que c'est censé m'apprendre à mettre ma ceinture. Ca fait cher le conseil. Enfin moi je trouve. Puis il enfonce le clou. Deuxième balle :

- Vous avez cinq jours pour vous présenter à la gendarmerie avec votre permis.

- mettons que j'oublie ?

- On se recroisera.

- Je passe jeudi.

Fin du rapport dominant-dominé. Je boucle ma ceinture et je m'en vais. 400 mètres plus loin, je me gare devant chez moi. Le cerf-volant à intêret à voler correctement.



Bon, là, c'est vrai, ça va faire une semaine, et j'ai pas encore trouvé le temps d'aller porter les documents. Mais demain, promis, j'y vais. Au fait, je suis assuré ? Merde, faut que je vérifie.

mardi, décembre 19, 2006

Citoyens, citoyennes







Il se pourrait que tout le monde s’en foute, mais tandis qu'à l'approche des fêtes les Français rivalisent d’ingéniosité pour suspendre à leurs balcons et à leurs fenêtres des guirlandes multicolores, des étoiles filantes et des rennes lumineux, qu’ils passent des heures à s’efforcer de comprendre le plan de montage du boîtier électrique permettant de relier le traîneau fluorescent au hibou clignotant tout neuf acheté pour l’occasion, Nicolas, le demi ministre de l’intérieur, n’a pas vraiment l’esprit aux festivités.

En effet, alors que dans tous les villages de France, des millions de pères Noël en mousse entreprennent de descendre en rappel les façades des maisons, le pauvre candidat enfin déclaré doit faire face aux facéties de ses deux principaux jokers communication que sont Johnny Hallyday et Doc Gynéco.

On se souvient qu’il y a quelques mois les deux fanfarons avaient débarqué à l’université d’été de l’Ump, sous les applaudissements motivés de plusieurs milliers de représentants de la crétinerie militante de droite. On avait deux people utilisés comme hôtesses à gros seins pour vanter les mérites d’un produit politique qui, sous l’œil des caméras, avaient l’air d’être deux people utilisés comme hôtesses à gros seins pour vanter les mérites d’un produit politique. Il était évident que Sarkozy était devenu fou. A l’époque, excepté peut-être la Colombie, la France était le seul pays au monde où le ministre de l’intérieur s’affichait ostensiblement avec un mec tournant à la coke et un autre à la beuh.

Aujourd’hui, le citoyen pas vraiment modèle Johnny préfère soutenir le libéralisme de loin, d’un endroit où il ne risquera pas de lui piquer son pognon : la Suisse. Le doc, moins malin (faut quand même le faire pour être moins malin que Johnny), se fait coincer pour fraude fiscale. Pas vraiment le genre de publicité dont un candidat à une élection présidentielle a besoin. Mais c’est trop tard pour décoller l’étiquette Ump du dos des deux trublions.

Du coup on se gausse à gauche. Hollande, un brin caustique, exhorte les Français à être de bons citoyens. Mais c’est un drôle de message à une période où les médias semblent s’évertuer à faire de nous de parfaits gangsters en s’amusant à stimuler notre cortex préfrontal. Entre M6 qui dispense gratuitement des cours de cambriolage avec de vrais professionnels ex-taulards et ringards, TF1 qui porte en triomphe les trente plus grands escrocs de ces dernières décennies dans une émission spéciale, et Paris-Match qui fait sa une avec le mariage d’une miss France avec Christophe Rocancourt, le célèbre gentleman détrousseur de people, le brave citoyen a du mal à distinguer les vrais valeurs qui feraient de lui un BON citoyen. A force d’écouter tous les soirs à table la grand messe du fait divers crapuleux, il finit par ne plus savoir si le fait de conserver son bébé à moins dix-huit degrés ou de l’enterrer dans le jardin sous un tas de compost est une chose abjecte, si l’on peut le tolérer ou si on doit s’en féliciter. Est-ce qu’un jour de vote, et à condition de voter utile, on peut égorger sa femme ? La réponse n’est plus si évidente, de nos jours. Etre un bon citoyen ! Va falloir qu’Hollande développe un peu.
Greenspirit.

vendredi, décembre 08, 2006

Le juge, la machette et la rose.



Tandis que Vladimir Poutine règle tranquillement les derniers détails de l’extermination du peuple tchétchène sans que Jean-Pierre Pernaut ne soit le moins du monde perturbé dans son recensement consciencieux des derniers couteliers bourguignons, un juge français dont le principal défaut est quand même d’être juge français a décidé de braquer sur l’Afrique les projecteurs de la Loi Internationale pour faire toute la lumière sur un autre génocide, accompli celui-là : Celui qui a envoyé dans des fosses communes près d’un million de Tutsis en 94.


Aussi à l’aise dans sa robe noire qu’un gamin dans une panoplie de Batman, le juge Bruguière se sent en effet l’âme d’un justicier universel qui serait investi d’une mission : débarrasser le monde des immondes putchistes qui ne respectent pas les protocoles électoraux de base et qui accessoirement anéantissent les populations. Il s’en va donc chercher des poux au président rwandais Kagamé, dont les services secrets ne risquent pas de lui servir un repas assaisonné au polonium 210 ni de lui loger quelques grammes de plomb dans la tête, pour la simple raison qu’ils sont inexistants. Le leader africain se voit ainsi reprocher d’avoir organisé l’attentat aérien qui à coûté la vie, en 94, à l’ancien président Habyarimana, et d’avoir fomenté le massacre qui en a découlé, tout ça dans le but d’obtenir une villa climatisée avec jardin paysager au centre de Kigali dans laquelle prendre tranquillement ses petits déjeuners.


En gros, à en croire le magistrat, le pogrom anti-Tutsi de 94 ne serait en fait que le résultat de la rencontre improbable entre un avion officiel du pouvoir rwandais et deux missiles non officiels livrés par l’ex-URSS aux rebelles du Front Patriotique Rwandais et tirés sur ordre de Kagamé. Après des années d’enquête, le petit juge serait enfin en mesure de présenter au monde LE responsable des grandes purges équatoriales de 94, d’offrir en pâture aux loups occidentaux le fautif tant attendu permettant d’évacuer tout sentiment de culpabilité.


Et pourtant, elle est bien engagée, la responsabilité française, dans ce qui s’est passé au pays des mille collines dans le milieu des années quatre-vingts dix. Petit retour en arrière à caractère démonstratif :


1885 : Conférence de Berlin : Les nations impérialistes se partagent l’Afrique et l’Allemagne pioche le Rwanda, un minuscule pays d’Afrique centrale où personne n’a jamais mis les bottes. Elle n’y accorde aucun intérêt et, après une guerre mondiale et deux papes, elle le cède à la Belgique sans que personne n’y trouve à redire. Or, si il y a quelque chose dont la Belgique n’a rien à cirer, c’est bien le Rwanda. Même pas sûre de savoir où ça se situe. Il faut dire que cette tête d’épingle sur la carte de l’Afrique ne fait aucun effort pour plaire aux peuples colonisateurs : On y trouve pas d’or, pas de pétrole, pas de diamants. En plus, c’est à plus de mille cinq cent kilomètres des côtes et il n’y a même pas d’autoroute avec aire de repos et bornes d’appel d’urgence. Pas vraiment Byzance, quoi. En conséquence, la Belgique se contente d’exercer une tutelle sans chercher à mettre en place de véritables institutions ni de politique de développement. Elle conserve l’ordre établi depuis plusieurs siècles, qui régit la société des Banyaruandas, à savoir le suivant : Le Rwanda est divisé en deux principales grandes castes : Les Tutsis (environ 15 %), propriétaires de bétail, régnant en seigneurs sur les Hutus (environ 85 %). Ces derniers sont dans leur grande majorité agriculteurs et, selon une tradition séculaire, les vassaux des Tutsis.


Mais quand le vent de l’indépendance se lève sur l’Afrique, à la fin des années cinquante, la Belgique se montre légèrement désemparée devant les revendications autonomistes du pouvoir tutsi. Pas vraiment l’habitude de ce genre de connerie. Jusqu’alors, elle avait gouverné le Rwanda en manipulant les Tutsis. Mais le mouvement d’émancipation qui se met en branle dans l’ensemble des colonies change la donne. Parce qu’il faut bien trouver une solution pour ne pas passer pour un pleutre aux yeux de la communauté internationale, elle décide de soutenir les Hutus et va même jusqu’à les encourager dans leur révolte contre les Tutsis. Les Hutus ont en effet déclenché une insurrection paysanne qui, pour les Belges, tombe à pic. La Belgique a vaguement dans l’idée d’endiguer les prétentions indépendantistes tutsiennes en exploitant la colère des Hutus, mais n’a pas vraiment conscience de ce que ça va provoquer sur le terrain. Or la bienséance et la modération ne sont pas les principales caractéristiques d’une insurrection paysanne. Dans tous les villages, les machettes s’affolent, les serfouettes s’abattent et le sang se répand. C’est un horrible massacre, si bien sûr l’on part du principe que la disjonction d’un visage et d’un corps d’enfant à la hache est une chose horrible. On est en 1959. Le pays s’embrase, se consume, s’autoconbustionne. Et lorsque le Rwanda accède à l’indépendance en 1962, les Hutus sont devenus maîtres du pays. Les rares Tutsis qui ont réussi l’exploit d’éviter d’avoir la gorge tranchée ou le crâne fendu sont chassés dans les collines, aux frontières du Burundi. Dans la décennie qui va suivre, le peuple Tutsi va bien tenter de renverser la situation, mais les Hutus vont leur tailler les oreilles en pointe, et ce n’est pas une image. Il est vrai qu’un rebelle est beaucoup moins dangereux une fois déchiqueté. Les survivants digèrent donc leur amertume en attendant des temps meilleurs pour assouvir leur vengeance. Il règne à cette époque au Rwanda un climat du peur, de suspicion et de tension extrême. Des Hutus au pouvoir entourés de Tutsis déchus, humiliés, et très, très, très en colère.


C’est dans ce contexte que le général Habyarimana organise un coup d’état, en 1973. Habyarimana représente l’aile la plus radicale des Hutus. C’est un chef d’état progressiste, et ce qui est très en vogue, en ces temps d’émancipation, c’est l’installation d’une dictature. L’autocratie, c’est chic, c’est smart. Soucieux de ne pas priver son peuple des dernières innovations en matière de gouvernance, Habyarimana s’applique alors à mettre en place une dictature de fer. Son clan s’approprie le pays. Il va le garder une bonne vingtaine d’années. Comme avec tout despote digne de ce nom, tout opposant au régime, même Hutu, voit son espérance de vie considérablement raccourcie.


Pendant ce temps, les réfugiés Tutsis, installés dans des camps au Zaïre, au Burundi, en Tanzanie et en Ouganda, préparent leur retour. C’est pour eux une obsession : récupérer leurs vaches et faire la nique aux Hutus en leur chatouillant la carotide avec une lame d’acier. Sous la houlette d’un général révolutionnaire ougandais, Museveli, les Tutsis reçoivent une formation militaire et créent le Front Patriotique Rwandais. Au bout d’une vingtaine d’années, ils auront accouché d’une génération de jeunes guerriers prêts à en découdre pour récupérer la terre de leurs ancêtres, principe sacré en Afrique.


Le 30 septembre 1990, il pleut dans la région des grands lacs. Les troupes du FPR se disent que c’est un bon jour pour prendre le pouvoir. Elles pénètrent donc au Rwanda et, sans rencontrer la moindre résistance, avancent tranquillement vers Kigali. Habyarimana transpire, et pas seulement parce qu’il fait chaud. Il flotte dans l’air comme une odeur de putch imminent. Habyarimana, d’une main fébrile, introduit deux ou trois pièces dans le monnayeur de la première cabine téléphonique venue et compose le numéro d’un de ses potes, un certain…François Mitterrand. Il lui explique la situation. Mitterrand est toujours prompt à aider une dictature africaine à se maintenir en place. Le président français envoie donc des troupes faire front au Front, et Habyarimana s’éponge le front : Les Tutsis sont stoppés à quelques kilomètres de Kigali. Peut-être que si les Tutsis avaient réussi leur coup ce jour là, les massacres de 94 auraient été évités. Peut-être.


Au sud, le pouvoir rwandais a eu chaud. Au nord, les rebelles tutsis sont frustrés. Situation explosive. Un peu comme si on décidait d’allumer un feu de camp au beau milieu d’une fabrique de poudre. Des intellectuels proches du pouvoir mettent alors au point une théorie qui n’est pas sans rappeler celle qu’avaient élaboré les têtes pensantes tombées à Nuremberg. Le genre de théorie qui aujourd’hui circule en Russie comme un fanzine à la mode qui serait de moins en moins underground. La théorie de la solution finale. Tacaboum.


Pour désamorcer une situation critique et assurer sa survie, la dictature doit écraser l’ennemie, qu’il soit Tutsi ou Hutu modéré. Alors c’est les préparatifs. Radio Mille Collines joue les chauffeurs de salle en diffusant constamment des messages de haine, et la France assure l’ intendance. Elle fournit les instructeurs, des armes et du matériel. Il est vrai que Mitterrand, à cette époque, n’agit plus que sur les conseils d’ une sombre cartomancienne au passé trouble. En quelques mois, l’armée officielle rwandaise gonfle comme la cuisse de Zidane après son arrivée à la Juventus. Elle passe de 5000 à 35000 soldats.


Le 06 avril 94, Mitterrand a rendez vous avec son urologue, qui compte aborder avec lui le délicat problème des couches confort. Habyarimana quant à lui, prend l’avion. Connerie. Le Falcon explose, n’ayant pas supporté d’être pulvérisé par un missile SAM16. En hommage au chef d’état, trois mois de massacre national sont décrétés. Tout opposant au régime est transformé en pièce de boucherie. Des Rwandais tuent des Rwandais. Entre 800 000 et un million de Tutsis et Hutus modérés meurent avant que Mitterrand lui-même ne soit définitivement trahi par sa prostate. Les tueries sauvages s’arrêtent en juillet, lorsque les troupes du FPR maîtrisent le pays. Mitterrand, entre deux séances de radiothérapie, s’en fout.


Aujourd’hui, super-juge veut envoyer devant les tribunaux le commanditaire présumé de l’attentat habyarimaticide. Le rôle joué à l’époque par la France semble peut l’inquiéter. Le fait que la France ait toujours porté à bout de bras les despotes africains ne semble de toute façon inquiéter personne. Par contre, il y aura toujours des tordus pour aller déposer une rose en haut de la roche de Solutré.


Greenspirit.
A lire :


jeudi, novembre 23, 2006

Portée Pal.


Une jeune femme âgée de 23 ans a été attaquée et tuée mercredi par quatre molosses, qui ont ensuite été abattus par les forces de l'ordre près de Beauvais. Une voisine, qui a assisté à la scène, rapporte les derniers mots de la victime:

" Arghh,...je suis tombée par terre... c'est la faute aux rottweilers..."

mardi, novembre 21, 2006

Au revoir à jamais.


Alors que sort cette semaine dans les salles obscures le dernier volet des aventures de James Bond, avec son lot de beaux costards, de belles bagnoles, de belles gonzesses et de martinis « on the rock », les services secrets russes ont décidé eux aussi de faire parler d’eux.

Après avoir occis Anna Politkovskaïa il y a de ça quelques semaines, et ce sans que le moindre sourcil ne soit levé à l’Ouest, les héritiers du KGB ont cette fois tenté d’assassiner un ancien pote à eux, Alexandre Litvinenko, un espion repenti naturalisé britannique à la fin des années quatre-vingt dix et depuis virulent opposant au régime poutinien. Visiblement empoisonné à la mort aux rats, cet homme est aujourd’hui sur un lit d’hôpital, et est en passe de devenir un naturalisé britannique mort. Encore une fois, Moscou choisit de dessouder les dissidents plutôt que d’accepter toute opposition démocratique.

Litvinenko avait en effet publié en 2002 un livre dans lequel il incriminait le président russe dans des attentats meurtriers officiellement attribués aux rebelles tchétchènes. Par ailleurs, le pauvre type avait reçu, semble t-il quelques heures avant son empoisonnement, des informations concernant le meurtre de la journaliste de la Novaïa Gazeta. ( Informations mettant en cause Vladimir Poutine ?) Mais un contretemps fâcheux à base de poison violent à contrait Litvinenko à s’occuper de ses viscères plutôt que de politique. La machine répressive moscovite fonctionne toujours aussi bien et c'est Poutine qui graisse le moteur.

Rappelons une dernière chose : Ex agent du KGB, assassin notoire, criminel de guerre, politicien corrompu, Poutine a été élevé au rang de Grand Croix de la légion d’honneur par Jacques Chirac en septembre dernier. De quoi vous dégoûter de la vodka.

Greenspirit.

lundi, novembre 20, 2006

Dieudonné pas assez sale ?


Acte 1 : Un philosophe aux cheveux gras et aux chemises aussi douteuses que ses idées signe une tribune dans un canard. Un scoop bidon : Il révèle que la vie de Mahomet ne ressemblait en rien à celle de Charles Ingles.

Acte 2 : Une Fatwa est lancée. Le professeur, soudain seul dans ses frocs sales, se met en arrêt de travail prolongé, ce qui en passant n’aide en rien à combattre les préjugés en matière de service public.

Acte 3 : Soutien médiatico-intellectuel général. Tollé contre l’intolérance.




Acte 4 : Quelques semaines plus tard, un philosophe aux cheveux gros et aux chemises aussi amidonnées que sa femme s’insurge contre les atteintes à la liberté d’expression. Redeker, qui ne s’est toujours pas décidé à faire le moindre effort en matière d’hygiène corporelle devient un héros de la parole libre. Applaudissements.




Acte 5 : Un humoriste à moitié black et entièrement black listé décide d’aller mettre en pratique ses théories sur le dialogue et la compréhension des autres et se rend à une sauterie organisée par le Front National. Il promet par ailleurs d’aller de même visiter tous les autres partis.

Acte 6 : Lynchage médiatico-intellectuel. Huées. Tollé intolérant.

Acte 7 : Le philosophe à la belle chemise n’en a visiblement rien à foutre de ce genre d'intolérance.

vendredi, novembre 17, 2006

Unies pour rien faire.


Le Tchad incendié et la République Centrafricaine travaillée à la machette. Et merde, ça tombe mal, c’est bientôt Noël.

Nations Unies. Instances internationales. Chemises à trois cent euros. Douste-Blazy qui remet sa mèche en place et qui se dit scandalisé ( !?) par les massacres dans la région du Darfour. Kofi Annan qui se démène pour que des diplomates bien payés et accros au café lui accordent quelque attention. Va falloir attendre. Faut pas se précipiter. C’est pas le genre de la maison. Depuis 45, l’ONU ne s’est jamais précipitée nulle part.

Depuis 2003, dans cette région de l’Est Africain, deux cent mille personnes (des civils) ont été égorgées, assassinées, étripées, brûlées, découpées, écorchées, etc. On est plus à quelques semaines près. Surtout, pas de précipitation…

jeudi, novembre 16, 2006

Elle l'a dit ! (ou presque)




"Les enseignants ne travaillent pratiquement pas du tout. Et même parfois moins. En plus, ils sont payés pendant les vacances scolaires, et moi ça me met en colère!"

jeudi, novembre 09, 2006

Copé fait fliper les tôliers.


Depuis que se profile l’interdiction totale de fumer dans les lieux publics, les bistrotiers, hôteliers et autres patrons de bocs sont à un jet de cacahuète de la dépression nerveuse. Ils errent entre nuits blanches et cafés noirs, à fumer des cigarettes et attendre fébrilement que le dépôt de bilan pointe le bout de son nez.

Ainsi, la loi concernée, applicable au 01 janvier 2008, sonnerait assurément le glas de ces professions qui, victimes d’un arrêt liberticide et abjecte, n’auraient plus qu’à mettre la clé sous le pot de géranium. On assisterait au trépas du zinc, à la calanche du rade, au déralinguage du bocard, à la mort programmée d’une des plus importantes institutions françaises : le café. Dans nos campagnes, c’est l’âme des villages qui serait fusillée sur le peloton d’exécution de la santé publique, et dans nos villes, c’est l’esprit des quartiers populaires qui serait éviscéré sur l’autel des non-fumeurs.

Alors, naturellement, face à ce fléau antinicotique qui point à l’horizon, la résistance s’organise. Les protestataires énervés menacent de sortir de derrière leurs comptoirs pour envahir les rues et ériger face aux préfectures des barricades en barriques de bières, en attendant de pied ferme les représentants de l’autorité armés de tessons de bouteilles, de cendriers Ricard et de divers autres projectiles susceptibles de taillader les arcades. Le but : faire une nouvelle fois plier le gouvernement, le faire renoncer à ce projet monstrueux.

Or le gouvernement se méfie comme de la peste des colères de cette confrérie. Pourquoi ? Parce que le pouvoir qu’elle exerce sur les électeurs est immense. Notamment sur cette France qui se lève tôt et qui fait tourner les usines, sur cette France qui, dans quelques mois, va être conviée à choisir un ou une excité(e) pour l’asseoir sur le trône. Car ce n’est pas dans les livres ni dans les tracts de partis, encore moins dans les résumés de programmes politiques que se forge l’opinion publique, mais bien chez Claude et Jamie, à l’Auberge de la main gauche, ou au Relais de la gare, entre un verre de pastis et un jambon-beurre. Le patron de bar est un sculpteur d’idée, un artiste, souvent alcoolique certes, mais qui, d’un soupçon, d’une rumeur, élabore un point de vue, façonne une manière de voir qu’il expose ensuite avec conviction à la populace accoudée. Les sans-pognons, soulographes et autres traine-guenilles, attentifs, ingurgitent entre deux blancs secs les leçons du maître à boire et à penser, puis relayent, au sein de leur foyer ou à leur travail, les avis affichés. Ils deviennent ainsi le terreau de l’opinion dans lequel le tôlier enfonce sa graine d’un doigt souvent graisseux.


C’est la raison pour laquelle Jean-François Copé n’a pas hésité à mouiller sa chemise pour tenter d’apaiser le courroux des tôliers. Ce dernier espère sauver la situation en proposant des mesures pour le moins… décalées. En tout cas décalées dans le temps. L’idée, c’est, par une manoeuvre fiscale, de relancer le flipper, afin que le consommateur frustré de ne pouvoir griller sa tige puisse passer ses nerfs quand même sans pour autant déserter les lieux. Or personne ne se rappelle avoir vu le début d’un prémisse de cadran de flipper dans un bar depuis au moins quinze ans. Depuis belle lurette les jeux pc ont botté le cul du billard électrique, et seuls quelques nostalgiques en possèdent encore un exemplaire poussiéreux dans un coin de leur bar. Mais il en faut plus pour décourager un ministre du budget en campagne électorale. Il va même jusqu’à tenter l’extra balle en poussant des jurons populaires dans un rade de campagne, devant, évidemment, quelques caméras agglutinées, afin de convaincre tout le monde du bien fondé de son plan de sauvetage. Remettre au goût du jour des technologies du siècle dernier, telles semblent être les idées d’un groupe politique qui invite les électeurs à « imaginer la France d’après » !

Les professionnels du blanc limé s’assoient bien sûr sur cette proposition qu’ils jugent inappropriée et se demandent si, par hasard, le gouvernement ne serait pas en train de se foutre gentiment de leur gueule. Alors, comment sortir de l’impasse ? Comment satisfaire à la fois les nombreux électeurs paranoïaques de la toux sèche qui voient dans la moindre fumée de cigarette le sombre spectre du cancer pulmonaire, et les non moins nombreux quidams couperosés qui fréquentent les bistrots et qui ont cet embarrassant défaut d’avoir le droit de vote ? Il y a bien une solution, mais qui risque fort de fâcher les néo-féministes alonzoiens, c’est le retour de la gourgandine. En effet, quoi de plus lucratif que la bonne vieille fille de joie, quoi de plus rentable au mètre carré qu’une boîte à vérole assermentée ? Quitte à relancer d’anciennes habitudes, autant choisir celles qui rapportent un tant soit peu d’argent. Les patrons boucleraient leurs comptes, les clients oublieraient leur chagrin de ne pouvoir bouffarder, et quelques donzelles perdues trouveraient de quoi gagner dignement leur croûte en soulageant l’humanité souffrante. Enfin moi, ce que j’en dis…

Greenspirit.

mercredi, novembre 08, 2006

Québec ou bien !

Une petite vidéo qui vaut le coup de click !


http://www.tetesaclaques.tv/video.php?vid=22

samedi, novembre 04, 2006

Quelques lignes et du plomb.


Au moment où, en France, quelques mamies se réunissaient pour discuter de l’attribution du prix Femina, les dirigeants russes choisissaient eux aussi de récompenser leurs écrivains de talent. La récompense tenait dans quelques grammes de plomb logés dans la tête, et c’est Anna Politkovskaïa, la célèbre journaliste et écrivain russe qui couvrait depuis plusieurs années le conflit tchétchène de manière indépendante, qui fut consacrée. Si quelques-uns croyaient encore que le stalinisme était mort avec son père en 53 , voici la preuve qu’ils se mettaient le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate.

Poutine, en grand nostalgique de l’époque dorée du crime industrialisé, remet ainsi au goût du jour les procédés staliniens de censure radicale : Le samedi 07 octobre, la journaliste, déjà sous le coup de menaces, décide de sortir s’acheter une pizza. Mais elle croise malencontreusement, dans l’ascenseur de son appartement moscovite, un homme masqué, qui fait preuve d’une grande impolitesse - 1) en ne lui tenant pas la porte - 2) en vidant sur elle le chargeur de son pistolet. Immédiatement, sous prétexte qu’elle avait les entrailles et la cervelle en miettes, la pauvre femme se résout à mourir, sans attendre l’ambulance. Abandon. Le pouvoir a gagné. La mort est un argument de poids : Anna n’écrit plus d’articles sur la Tchétchénie.

C’est comme ça, dans la Russie poutinienne, comme au bon vieux temps du KGB et des camps de repos en Sibérie, on ne prend plus la peine de discuter. On élimine les gêneurs, les dissidents, les insoumis, tous ceux qui refusent de boire la mauvaise soupe servie par l’Etat et qui s’éloignent de la ligne éditoriale dictée par Moscou. On utilise pour cela les mêmes méthodes qu’il y a soixante-dix ans. Intimidations, harcèlements, passages à tabac, etc. Pif, paf, on rosse du Russe avec rudesse pour lui apprendre que se taire c’est la meilleure des politesses. En outre, chaque fois qu’une balle de revolver croise le chemin d’un gus indiscipliné, c’est une leçon qu’on adresse au peuple tout entier. Car il est bon, de temps en temps, d’envoyer un message à la populace en chapka, comme une piqûre de rappel : « Baissez la tête, et pas un seul pas de côté, ou bien… » Anna, elle, avait courageusement fait un pas de côté. Elle n’était pas restée dans la ligne. Une balle dans la tête. La liberté de s’exprimer en terre russe demeure aussi réduite que l’espérance de vie d’un soldat tchétchène.

C’est à la fois dommage, et en même temps, pas si grave. Pas si grave parce que, de toute façon, et c’est la triste réalité, a part les tchétchènes, tout le monde s’en fout de savoir ce qui se passe en tchétchénie. Mais dommage, aussi, parce qu’ Anna Politkovskaïa n’avait de cesse, justement, depuis plus de dix ans, de dénoncer les exaction sanglantes de l’armée russe dans le Caucase nord. Loin des salons feutrés, des tasses de thé et des clubs du stylo, elle arpentait en bottes fourrées les montagnes de Tchétchénie, de village pilonné en village bombardé, pour recueillir des témoignages, rencontrer, entendre et comprendre la population mutilée. Elle rapportait dans son sac à dos l’horreur d’un conflit cruel et insensé opposant une armée russe sanguinaire et vénale, composée de jeunes soldats déshumanisés, livrés à eux-mêmes, et sous la responsabilité d’officiers corrompus et barbares, à une résistance tchétchène sauvage, fracturée, désorganisée, mal rasée, mais acharnée et prête à tout. Elle expliquait l’absurde d’une guerre sans lois ni droits, cadre du grand n’importe quoi, où viols, meurtres, jugements sommaires, pillages, humiliations, enlèvements, etc., composaient le sombre quotidien des civils. Elle dénonçait également les basses manoeuvres de Poutine qui, sous prétexte de livrer une lutte sans merci à la menace terroriste - et soutenu en cela par l’Occident -, écrasait un peuple entier sous sa botte, afin s’asseoir son pouvoir. Elle repoussait à coup d’articles étoffés la propagande officielle du Kremlin qui tendait à faire des wahhabites ( les tchétchènes islamisés) les seuls responsables des actes atroces commis à l’encontre des civils, propagande qui n’avait d’autre but que de provoquer la guerre civile en Tchétchénie. Enfin, elle mettait en garde la société russe qui peu à peu se laissait entraîner par les courants sournois de la haine aveugle et systématique de l’autre. En somme, elle faisait réellement son boulot de journaliste, qui consiste à livrer les faits tels qu’ils sont sans se contenter d’être un simple relais, un porte-parole du gouvernement. En cela, elle était beaucoup plus courageuse que la plupart des pousse-mégôts ventripotents qui occupent les rédactions de la presse occidentale et qui passent leur temps à contenter les lobbies militaro-industriels. Avec ses lunettes cerclées, elle avait un regard différent sur les évènements. Un regard plus juste. Sa mort enfonce de ce fait un peu plus le monde dans sa myopie. Et même si, de toute façon, ça fait déjà longtemps que le monde n’y voyait plus clair, c’est dommage que ce samedi 7 octobre, Anna ne se soit pas fait des pâtes.

Greenspirit
PS: Ouvrages d' Anna Politkovskaïa :

dimanche, octobre 22, 2006

fausses paillettes et vrais chaussons


Il est probable que tout le monde s’en fout, mais si l’on en croit l’image fallacieuse que nous vend constamment la publicité, être vieux en France, c’est la panacée.

En effet, la retraite, comme elle est présentée par la lucarne libérale, passe pour être LA réponse aux interrogations ouvrières récurrentes, alors qu’il s’agit en fait d’une grosse carotte dorée agitée au nez des travailleurs qui se lèvent tôt et qui se demandent pourquoi. Elle est comme une corne d’abondance scintillante posée bien en vue au sommet des reliefs sinistres et escarpés du Travail, une lumière au bout de ce long passage balayé par les vents hurlants de l’exploitation capitaliste et noyé dans les épais brouillards du marasme ambiant, mais qui doit absolument être emprunté par tout homme civilisé prétendant accéder au bonheur. Si la vie active est un océan d’emmerdes, la retraite est le phare qui, au loin, annonce des rivages orgiaques aux marins pouilleux ravagés par le scorbut. La récompense ultime de toute une vie de durs labeurs, de sacrifices matériels et de cassoulets en boîte.

On nous décrit ainsi un monde idyllique où les dignes retraités, après des années d’efforts, fêteraient leur départ en recevant de la part de leurs collègues émus aux larmes et farcis au champagne et aux petits fours du matériel de pêche tout neuf, les gratifieraient d’éblouissants sourires travaillés au Polident façon Actor’s Studio, puis courraient sur le champ s’acheter de gros camping-cars tout confort avec réception satellite afin de partir sans délai pratiquer le ski nautique sur la mer noire ou s’adonner à la course d’orientation au cœur des forêts hongroises dans un périple routier de six mois. Il paraîtrait qu’il n’y a plus d’âge pour ce genre de connerie, et que de toute façon, un retraité, ça a toujours la forme, à condition bien sûr de manger des yaourts Actimel et de boire de l’eau d’Evian.

Une fois retirés de la vie active, miraculeusement épargnés par l’inéluctable décadence biologique grâce à l’incroyable efficacité des crèmes anti-âge Garnier et des cures de thalasso, bien à l’abri derrière leurs conventions obsèques Norwich Union et leurs plans d’épargne fructueux, ces frais pensionnés auraient semble t-il tout loisir de délaisser pigeons et bancs publics pour aller passer l’hiver dans un club de vacance au Maroc ou au Sénégal, où le climat plus doux permettrait de s’essayer sans crainte à la plongée en apnée et de bourlinguer joyeusement entre les dunes de sable sahariennes sur des quads deux-temps.

En bref, tirer sa révérence équivaudrait à effectuer un dernier tour de piste sous les applaudissements, une profusion de bonheur qui trouverait sa source auprès des bonnes tables et les musées d’art contemporain, des voyages organisés dans le monde entier et des cures de jouvence avec cours de nage synchronisée, séances de phytothérapie et massages aux algues marines. On finirait sa vie gavé de DHEA, en sécurité dans ses couches Libra, entouré de petits enfants rieurs que l’on autoriserait à lécher la casserole, à profiter de son compte en banque et de son patrimoine dans une grande maison placée sous surveillance vidéo chauffée par Ecotherm et équipée en fauteuils Derby.

Mais, malheureusement, la réalité est tout autre. La publicité change peut-être la pisse en nectar, pour mieux vendre ses bagnoles et ses prothèses auditives, mais il n’en reste pas moins que l’état gériatrique de la France est loin, très loin, de ce portrait imaginé par les créatifs. Car au lieu de faire tranquillement du pédalo sur les ondes calmes du bonheur mérité, les retraités ont plutôt tendance à se noyer dans les eaux boueuses de la solitude et de la précarité.


Ainsi, le quotidien d’un retraité, ou plutôt de huit retraités sur dix, à pour cadre non pas les rives du Nil ou les salles de sport, mais les petits appartements deux pièces en banlieue urbaine et les cabinets de médecins bondés et surchauffés. Ils ne fréquentent pas les restaurants mais se nourrissent de nouilles au beurre et de conserves de thon à l’huile. Ils s’accrochent comme ils peuvent à leurs 564,25 euros d’allocations retraite en priant pour que la prochaine liste de médicaments déremboursés ne concerne pas leurs pilules pour la polyarthrite et la lombalgie. Ils jouent au tiercé toutes les semaines et cotisent à une complémentaire santé qui, généreusement, leur envoie chaque année un joli calendrier illustré de chevaux sauvages. Ces abonnés à la carte vermeil errent en pantoufles, les jambes lourdes à cause du chauffage au sol, entre la cuisine et le salon. Signe dépressif majeur, ils regardent France 3 à longueur de temps. En fin de journée, dès dix-neuf heures, ils avalent un bouillon et vont se coucher. Peu à peu, hormis le concierge, plus personne ne sait qu’ils existent. D’ailleurs ils n’existent plus, ils flottent mollement au dessus de l’existence. Il règne chez eux une forte odeur de croquettes pour chat, mêlée à celle plus aigre encore du pourrissement social. Le fruit trop mûr finit d’ailleurs par tomber de l’arbre et se désagrège dans l’indifférence totale. Le vieillard ne fera bientôt plus parler de lui, trop occupé à mourir, oublié même de ses enfants, dans la grisaille d’un hospice pisseux, seul au fond de son lit même pas bordé. Il rendra son dernier souffle sous la lumière terne d’un néon mural, et la radio à pile posée à côté de lui, branchée sur France Bleue, continuera de gueuler, avec un désintérêt avoué pour cette charogne encore chaude.

Greenspirit.

jeudi, octobre 12, 2006

faut-il introduire l'oreillette en politique ?


Ah, les animateurs télé ! Quelle institution ! Cinquante ans de rapports étroits et paternels avec le peuple, au point qu'aujourd'hui, ils seraient prêts à disputer le pouvoir aux professionels de la politique. Petite anthologie pas vraiment exhaustive de ces vedettes cathodiques aux ambitions multiples :

Au début, y'avait Michel Drucker. Années soixante. Commentait les buts de Raymond Koppa pour l' ORTF. Y'avait environ deux mille foyers en France suffisamment équipés pour distinguer la couleur de sa cravate, mais c'était déjà l'ami de toutes les familles. Il avait de l'allure, disaient les ménagères, même en noir et blanc. Il vénérait Alain Perrefitte et ne tutoyait pas de Gaulle, mais gardait une liberté de ton totale... en matière de football.

Viennent ensuite les années soixante-dix. Les femmes sont libérées. Même Simone Garnier, à qui on donne un micro aussi gros qu'une barbapapa pour interviewer Claude François. Première femme après Bardot à entrer dans l'imaginaire sexuel de millions de prolos, elle introduit la mixité à la télé en partageant l'antenne unique avec Michel Drucker, pionnier de la cravate verte.

Plus tard, y'a eu Mourousi, dans les années quatre-vingt. Un mec qu'en avait, Mourousi. Un peu le Belmondo du vingt heures. Un journaliste rebelle, un héros de l'information, un révolutionnaire de plateau, dont le plus grand acte de dissidence fut de présenter le journal avec un blouson de cuir et une voix de clochard. Puis y'avait Michel Drucker, en cravate bleue, qui recevait des invités ivres morts peu amènes avec les billets de banque et dont la caractéristique principale était qu'ils tenaient absolument à enculer Witney Houston. Ces soirs là, la France se divisait. D'un côté ceux que ça faisait marrer, de l'autre ceux qui détestaient aux armes et caetera.

Ensuite, dans les années quatre-vingt-dix, est arrivé Thierry Beccaro, très naturel, mais naturellement con. Un type dont l'évolution de carrière tient uniquement dans le fait qu'à Motus, on soit passé de mots de cinq lettres à des mots de sept lettres. Promotion professionnelle exemplaire ! Animateur qui se veut drôle aujourd'hui encore, mais de mémoire, jamais aucun candidat n'a ri, ni même souri, à aucune de ses blagues. Assurement le meilleur candidat au ministère de la bouffonnerie. Et y'avait, bien-sûr, Michel Drucker. Cravate rouge. Star 90. En raison d'une mort constante et définitive, Gainsbourg n'était plus invité. Il fut remplacé par Jack Lang, moins bourré mais également moins drôle.

Enfin, aujourd'hui, y'a Serge Moatï. Un mec avec une tronche à la Jean Yann et un corps à la Carlos, payé pour recevoir des penseurs et des écrivains tout en affichant envers eux un détachement clairement explicite : Il n'en a rien à foutre de rien, ni de leurs pensées ni de leurs bouquins. Capable de discuter avec n'importe quel expert, n'importe quel professeur, chercheur, ministre ou poète, sans montrer le moindre intérêt humain. Rien à foutre. Autant de désinvolture dans ses interviews que de sauce pimentée dans un chawarma pita. Peut-être l'animateur le plus avachi de l'histoire de la télé. Trop fainéant pour avoir des ambitions politiques.
Y'a aussi Nicolas Hulot. Globe-trotteur officiel du paf, aussi à l'aise avec un chef Papoue qu'avec un paysan Mongol, il a la curieuse manie de refuser de présenter ses émissions s'il n'est pas suspendu au bout d'une corde à plus de quatre mille mètres d'altitude. Très attaché au respect de l'environnement, au point d'évoquer sa candidature aux présidentielles. Grimpe cependant plus facilement dans les séquoias amazoniens que dans les sondages. Ne s'est toujours pas décidé à se séparer de son 4x4, mais promet, s'il est élu, de généraliser l'usage du deltaplane pour les voyages officiels. Prétend se mettre à la barre du bateau France alors qu'il n'a jamais piloté autre chose qu'un zodiac. Peu de chances d'être porté au pouvoir.
Puis, évidemment, y'a Michel Drucker, cravate grise. Il coanime désormais ses émissions avec Bernadette Chirac au moins une fois par mois. Tutoie Nicolas Sarkozy et Johnny Halliday. Peut-être, en fin de compte, le meilleur candidat à la présidentielle. A condition de renoncer à ses scandaleuses cravates.

Greenspirit.

jeudi, juin 29, 2006

L'icône, la canne et la canicule


Il se pourrait que tout le monde s’en foute, mais cette fois ça y est, l’été est bien là. L’hominidé civilisé s’agite si singulièrement qu’on ne peut s’y tromper. On voit des retraités ruraux et arthritiques se casser le dos à tailler des pieds de tomates, des chefs de famille périurbains et socialistes s’évertuer à allumer des barbecues tout-en-pierre-de-chez-casto afin d’y griller quelques brochettes de porc, des trentenaires citadins et raybanisés se commander des cafés en terrasse et faire semblant de lire le Monde pour draguer des étudiantes hyperhormonées, et même des ministres débarquer à l’Elysée en chemisette Gucci sans avoir pris la peine de nouer une cravate. Tous ces comportements amènent à une conclusion et à une seule: ça va pas tarder à sentir le monoï sur l’autoroute A10.

En tout cas, y’en a qui semblent déjà en congé, ce sont les responsables de la programmation à la télévision. Ah, les bonnes vieilles rediffusions des vacances ! Les bons vieux best of ! Cette semaine, ils n’ont rien trouvé de mieux que de repasser la scène où Jacques Chirac raconte qu’il faut accorder toute sa confiance au gouvernement de Dominique de Villepin. D’accord, c’est toujours aussi drôle, l’humour est efficace, mais ça manque tout de même d’originalité : ils l’avaient déjà passée il y a deux mois. En plus, ça ce voit que c’est une bande son, et que Chirac il est empaillé.

D’autres encore préparent activement cet été qui pointe le bout de sa canicule : Les légataires universels de Dieu installés à Lourdes achèvent les préparatifs de début de saison. Ces marchands du temple inscrits à l’urssaf s’apprêtent à passer au tamis à pognon les flots jaunâtres de touristes octogénaires et incontinents qui vont bientôt se déverser dans la ville.

Chaque année en effet, dès les premières chaleurs, des légions entières de fidèles en bas varice, tous sursitaires du jugement dernier, surgissent en faisant grincer leurs déambulateurs et leurs prothèses dans les rues de la cité pyrénéenne. Des milliers de candidats au miracle sans tiers payant qui viennent frapper à la porte de la vierge Marie dans l’espoir d’une bonne grâce, mais qui dans le meilleur des cas repartent avec un rhume, à cause des courants d’air dans la grotte. Pourtant ils y mettent du cœur à se traîner pieusement devant cette curiosité géologique. Mais le miracle, il est pour ces professionnels de l’importation spécialistes des objets fabriqués en Chine, et pour le petit Mouloud, qui a inventé le chichi frit dans de l’huile bénite, et qu’il vend deux euros pièce. C’est à eux que le ciel sourit surtout.
Mais heureusement, il y aura toujours un scout boutonneux ou un bénévole dépressif du secours populaire pour leur tendre un verre d’eau fraîche à ces vieux, leur faire prendre leur dose de Lansoyl et porter leurs sacs pleins de vierges Marie en plâtre et d’assiettes souvenir avec photo de la grotte incrustée. C’est pour cela qu’il faut garder espoir.

greenspirit

mercredi, juin 28, 2006

les crampons, la bicyclette et le canapé


Il se pourrait que tout le monde s'en foute, mais, pendant que des politiciens illuminés, transits de haine, pètent les plombs en direct à l’assemblée, sous l’oeil endormi de quelques dépressifs qui avaient survécu à Derrick et qui n’avaient rien de mieux à faire que de regarder les « questions au gouvernement », en plein après-midi, sur France 3, alors qu’il fait 30 degrés dehors et que les plages regorgent de superbes spécimens d’homo sapiens femelles qui ne demandent qu’à connaître ce que c’est que l’amour, le vrai, celui qui dure dix minutes derrière une dune, pendant ce temps donc, les citoyens honnêtes font exploser le marché des téléviseurs écran plat pour pouvoir suivre peinards les pérégrinations de leur équipe nationale, à laquelle ils vouent un culte idiot depuis ce jour de 98 où un mec d’origine difficile a envoyé une balle par deux fois au fond des filets, empêchant ainsi tout un peuple de danser la samba trois jours durant. Ils croient encore, ces abonnés au gaz bien enfoncés dans leur fauteuil But couvert de tâches de gras et de bière, à cette magie des Bleus. Zinédine tout puissant, qui êtes aux cieux, que votre volonté soit la pleine lucarne ! Dans leurs yeux imbibés, l’auréole bleue flotte encore sur le foot de la patrie, et l’étoile d’or cousue sur la poitrine de leurs idoles reste la preuve qu’ils sont les maîtres du monde. Ils se shootent à la mauvaise foi et à l’autosuggestion, se gavent de confiance aveugle, et manquent de s’étouffer à la cacahuète à chaque nouvelle débâcle. En cause à chaque fois, l’arbitrage évidemment. Comment ça le jeu des français ? ils sont parfaits ! Ils sont champions du monde, quand même ! Tu vois, l’ami, le peuple est à l’image de ses dirigeants. Quand on a eu le pouvoir un temps, c’est difficile de raccrocher. Les branlées au Portugal et en Corée n’y ont rien changé, tout comme le non à la constitution et l’affaire clearstream n’ont ébranlé le narcissisme napoléonien du clan villepino-chiraquien. Heureusement, juillet arrive, qui permettra au contribuable déçu mais fidèle d’amortir sa télé en encourageant les valeureux héros du tour de France, filmés douze heures par jour, et ce un mois durant, à tenter de se frayer un passage sur des cols de montagne étroits peuplés de touristes en tongs assis sur des glacières et armés de cornes de brume à air comprimé. C’est pour ça qu’il faut garder espoir !
greenspirit.
FreeCompteur.com